« Chacun sait, par exemple, ce que le capital - cet ouvrage essentiel et fondamental qui fait l’exposé du socialisme scientifique - se limite aux allusions les plus générales quant à l’avenir, et n’examine que les éléments existant aujourd’hui et d’où se dégage le régime future. Chacun sait que, pour ce qui est des perspectives d’avenir, les anciens socialistes en ont donné infiniment plus, eux dépeignaient la société future dans tous les détails, désireux qu’ils étaient d’entraîner l’humanité par l’image d’un régime où les hommes n’ont plus besoin de lutter, où leurs rapports sociaux ne sont plus fondés sur l’exploitation, mais sur de véritables principes de progrès, conformes à la nature humaine. Pourtant malgré toute une phalange d’hommes de grand talent qui exposaient ces idées, et qui étaient des socialistes hautement convaincus, leurs théories sont restées en dehors de la vie, et leurs programmes à l’écart des mouvements politiques populaires tant que la grande industrie mécanique n’a pas entraîné dans le tourbillon de la vie politique les masses du prolétariat ouvrier et que n’a été trouvé le véritable mot d’ordre de sa lutte.
Ce mot d’ordre a été trouvé par Marx… non point à l’aide de perspectives quelconques, mais par l’analyse scientifique, mais par l’analyse scientifique du régime bourgeois contemporain, par l’explication de la nécessité de l’exploitation sous un pareil régime, par l’étude des lois de son évolution. »
V. Lénine, « Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates », Œuvre, Paris-Moscou, t.1 pp 201-202.
LA RÉVOLUTION SOCIALISTE

« L'abolition du capitalisme et de ses vestiges, l'établissement des bases du régime communiste forment le contenu de la nouvelle époque de l'histoire universelle qui vient de commencer. Et les mots d'ordre de notre époque sont et doivent inévitablement être : abolition des classes, dictature du prolétariat pour la réalisation de cet objectif. … »
V. Lénine. A propos de la lutte au sein du Parti socialiste italien, Œuvres, Paris Moscou, t. 31, p. 407
«Aujourd'hui, pour les plus grands Etats avancés d'Europe, la situation objective est différente. Le progrès si l'on ne tient pas compte des éventuels reculs temporaires ne peut s'effectuer que dans le sens ·de la société socialiste, de la révolution socialiste. »
V. Lénine. « A propos de la brochure de Junius », Œuvres, Paris-Moscou, t. 22, p. 340
Le caractère historiquement inévitable de la révolution socialiste
« Les forces productives élaborées sous la direction de la bourgeoisie se sont développées, depuis que la vapeur et le nouveau machinisme ont transformé la vieille manufacture en grande industrie, avec une rapidité et une ampleur inouïes jusque-là. Mais de même que, en leur temps, la manufacture et l'artisanat développés sous son influence étaient entrés en conflit avec les entraves féodales des corporations, de même la grande industrie, une fois développée plus complètement, entre en conflit avec les barrières dans lesquelles le mode de production capitaliste la tient enserrée.
… Or, en quoi consiste ce conflit ?
Avant la production capitaliste, donc au moyen âge, on était en présence partout de la petite production fondée sur la propriété privée des moyens de production des travailleurs : agriculture des petits paysans libres ou serfs, artisanat des villes. Les moyens de travail - terre, instruments aratoires, atelier, outils de l'artisan - étaient des moyens de travail de l'individu, calculés seulement pour l'usage individuel; ils étaient donc nécessairement mesquins, minuscules, limités. Mais, pour cette raison même, ils appartenaient normalement au producteur même. Concentrer, élargir ces moyens de production dispersés et étriqués, en faire les leviers puissants de la production actuelle, tel fut précisément le rôle historique du mode de production capitaliste et de la classe qui en est le support, la bourgeoisie. Dans la quatrième partie du Capital, Marx a décrit dans le détail comment elle a mené cette œuvre à bonne fin sur le plan historique, depuis le XVe siècle, aux trois stades de la coopération simple, de la manufacture et de la grande industrie. Mais, comme il le prouve également au même endroit, la bourgeoisie ne pouvait pas transformer ces moyens de production limités en puissantes forces productives sans transformer les moyens de production de l'individu en moyens de production sociaux, utilisables seulement par un ensemble d'hommes. Au lieu du rouet, du métier de tisserand à la main, du marteau de forgeron ont apparu la machine à filer, le métier mécanique, le marteau à vapeur ; au lieu de l'atelier individuel, la fabrique qui commande la coopération de centaines et de milliers d'hommes. Et de même que les moyens de production, la production elle-même se transforme d'une série d'actes individuels en une série d'actes sociaux et les produits, de produits d'individus, en produits sociaux. Le fil, le tissu, la quincaillerie, qui sortent de la fabrique sont le produit collectif de nombreux ouvriers, par les mains desquels ils passaient forcément tour à tour avant d'être finis. Pas un individu qui puisse dire d'eux : c'est moi qui ai fait cela, c'est mon produit.
Mais là où, à l'intérieur de la société la division naturelle du travail apparue peu à peu, sans méthode, est la forme fondamentale de la production, elle donne aux produits la forme de marchandises, dont l'échange - l'achat et la vente- permet aux producteurs individuels de faire face à leurs multiples besoins. Et c'était le cas au moyen âge. Le paysan, par exemple, vendait à l'artisan des produits des champs et lui achetait en compensation des produits de l'artisanat. C'est dans cette société de producteurs individuels, de producteurs de marchandises, que s'est donc infiltré le mode de production nouveau. On l'a vu introduire au beau milieu de cette division naturelle du travail, sans méthode, qui régnait dans toute la société, la division méthodique de travail telle qu'elle était organisée dans la fabrique individuelle ; à côté de la production individuelle apparut la production sociale. Les produits de l'une et de l'autre se vendaient sur le même marché, donc à des prix égaux au moins approximativement. Mais l'organisation méthodique était plus puissante que la division du travail naturelle ; les fabriques travaillant socialement produisaient à meilleur marché, que les petits producteurs isolés. La production individuelle succomba dans un domaine après l'autre, la production sociale révolutionna tout le vieux mode de production. Mais ce caractère révolutionnaire, qui lui est propre, fut si peu reconnu qu'on l'introduisit, au contraire, comme moyen d'élever et de favoriser la production marchande. Elle naquit en se rattachant directement à certains leviers déjà existants de la production marchande et de l'échange des marchandises : capital commercial, artisanat, travail salarié. Du fait qu'elle se présentait elle-même comme une forme nouvelle de production marchande, les formes d'appropriation de la production marchande restèrent en pleine vigueur pour elle aussi.Dans la production marchande telle qu'elle s'était développée au moyen âge, la question ne pouvait même pas se poser de savoir à qui devait appartenir le produit du travail. En règle générale, le producteur individuel l'avait fabriqué avec des matières premières qui lui appartenaient et qu'il produisait souvent lui-même, à l'aide de ses propres moyens de travail et de son travail manuel personnel ou celui de sa famille.
Le produit n'avait nullement besoin d'être approprié d'abord par lui, il lui appartenait de lui-même. La propriété des produits reposait donc sur le travail personnel. Même là où l'on utilisait l'aide d'autrui, celle-ci restait en règle générale accessoire et, en plus du salaire, elle recevait fréquemment une autre rémunération : l'apprenti ou le compagnon de la corporation travaillaient moins pour la nourriture et le salaire que pour leur propre préparation à la maîtrise. C'est alors que vint la concentration des moyens de production dans de grands ateliers et des manufactures, leur transformation en moyens de production effectivement sociaux. Mais les moyens de production et les produits sociaux furent traités comme si, après comme avant, ils étaient restés les moyens de production et les produits d'individus. Si, jusqu'alors, le possesseur des moyens de travail s'était approprié le produit parce que, en règle générale, il était son propre produit et que l'appoint du travail d'autrui était l'exception, le possesseur des moyens de travail continua maintenant à s'approprier le produit bien qu'il ne fut plus son produit, mais exclusivement le produit du travail d'autrui. Ainsi, les produits désormais créés socialement ne furent pas appropriés par ceux qui avaient mis réellement en œuvre les moyens de production et avaient réellement fabriqué les produits, mais par le capitaliste. Moyens de production et production sont devenus essentiellement sociaux : mais on les assujettit à une forme d'appropriation qui présuppose la production privée d'individus, dans laquelle chacun possède et porte au marché son propre produit. On assujettit le mode de production à cette forme d'appropriation bien qu'il supprime la condition préalable ... Dans celle contradiction qui confère au nouveau mode de production son caractère capitaliste gît déjà en germe toute la grande collision du présent. A mesure que le nouveau mode de production arrivait à dominer dans tous les secteurs décisifs de la production et dans tous les pays économiquement décisifs et par suite évinçait la production individuelle jusqu'à la réduire à des restes insignifiants, on voyait forcément apparaître d'autant plus crûment l'incompatibilité de la production sociale et de l'appropriation capitaliste.